Mon client est en redressement judiciaire ou quand est-ce que je m'alarme ?
En 2013, un de mes clients s’est placé en redressement judiciaire et ça ne s’est pas bien déroulé pour moi. Je n’en avais jamais parlé ici mais si ce billet peut servir à d’autres, je partage donc mon retour d’expérience en la matière.
En 2013 donc, j’ai signé une prestation d’accompagnement pour un nouveau client pour un montant total d’environ 30.000 €. Alors que je lui envoyais ma deuxième facture (sur trois), mon client m’a annoncé être dans l’incapacité de me régler. Il vivait en effet le lancement d’une procédure de redressement judiciaire et était donc placé en cessation de paiement.
Aucun signe avant-coureur ne m’avait préparé à cette annonce. Le client était (et est toujours j’y reviendrai) une société bien installée, avec plusieurs dizaines d’employés et une forte notoriété dans son secteur d’activité. Jamais le gérant ne m’avait laissé entendre que l’entreprise traversait des difficultés. J’ai appris par la suite qu’un investissement trop important suivi de quelques désistements de clients fidèles avaient suffi à plonger les comptes dans le rouge.
Conseil n°1 : toujours envisager le pire et contractualiser la prestation en conséquence.
Dans le monde du commerce, il ne faut jamais s’appuyer sur une réputation ou sur une simple confiance réciproque. Sans tomber dans la paranoïa, il faut se prémunir contre les accidents (ils arrivent) et encadrer la prestation : devis, contrats, assurances, échéancier de paiement.
À l’époque je ne facturais jamais d’acompte. Jeune et naïf, j’imaginais mal pouvoir être payé pour un travail non entamé et encore moins exiger cela d’un client. Heureusement pour moi (si je puis dire), ce même client m’avait proposé un acompte et un paiement échelonné en l’échange d’un geste commercial de ma part. Quand mon client s’est avéré dans l’incapacité de me payer, au moment de l’envoi de ma deuxième facture, j’avais donc travaillé deux-tiers du temps estimé et reçu le paiement de l’acompte soit un tiers du devis global (10.000 € environ).
Conseil n°2 : toujours facturer et un acompte et mettre en place un échéancier de paiement.
Maintenant je le sais : l’acompte est vital. Il sert de garantie sur le sérieux du client et il ne fait que couvrir les frais et le temps que vous devez vous-même avancer pour démarrer la prestation. Vu les délais de paiement légaux en France, il vous parviendra de toute façon quand une bonne part du travail aura déjà été effectuée et livrée.
Mon client dans cette affaire a eu l’honnêteté de me prévenir lui-même au lancement de la procédure. Mais, une fois cette information en poche, après quelques auto-apitoiements sur mon mauvais sort, je n’ai rien fait.
J’avais bien compris qu’un mandataire était, dans ces cas-là, nommé pour prendre temporairement la tête de l’entreprise et tenter de la sauver en assainissant ses comptes. Ce que je ne savais pas en revanche, faute de m’en être informé, c’est que le mandataire procède alors à une vérification des créances. Basé sur la liste fournie par le gérant, il exige de chaque fournisseur une validation des factures à régler. Un courrier (simple comme le prévoit la loi) est envoyé à l’adresse postale connue du fournisseur (celle sur les factures donc) et contient une… URL à laquelle se connecter pour valider les libellés et montant des factures.
Je n’ai malheureusement jamais reçu ce courrier (dont j’ignorais d’ailleurs l’existence). J’ai, il est vrai, déménagé à la même période, même si j’avais bien entendu fait appel au service de transfert de courrier de La Poste. La loi prévoit qu’en tant que fournisseur vous avez deux mois suite au dépôt légal pour vous faire connaître du mandataire. Encore faut-il savoir que votre client est en dépôt de bilan et que cette procédure existe.
Conseil n°3 : S’informer sur la santé de ses clients et les procédures légales
Depuis cette histoire, je ne lis toujours pas le Journal Officiel mais le site societe.com est devenu un réflexe pour vérifier à intervalles réguliers la santé financière de mes clients et les éventuelles procédures en cours. Si une mésaventure devait m’arriver aujourd’hui, je rechercherais avant tout à me renseigner sur les étapes à suivre. Auprès de mon comptable mais aussi en faisant appel au plus tôt à un avocat spécialisé, ou au moins, à une association d’aide aux entreprises.
Conseil n°4 : En cas de redressement judiciaire, vérifiez la prise en compte de vos créances
Suite à l’annonce du redressement judiciaire dans le Journal Officiel, vous disposez de deux mois pour valider vos factures en cours auprès du mandataire. Normalement suite à une demande de celui-ci mais si celle-ci ne devait pas vous parvenir, c’est à vous de faire la démarche. Ne tardez donc pas.
Alors que le délai légal était dépassé et que le mandataire avait donc compris de lui-même que je n’étais pas très attaché au règlement de cette facture (puisque je n’avais pas répondu à son seul courrier simple…), mon client me fit part de sa surprise. Je n’apparaissais en effet plus dans la liste des créanciers reconnus.
Muni de cette information et enfin réveillé, j’ai immédiatement fait appel à un avocat. Celui-ci m’a rapidement dit qu’il y avait peu d’espoir de regagner cette liste des créanciers reconnus car rien ne permettait de remettre en cause le travail du mandataire. La loi estime ici que c’est au fournisseur de vérifier la bonne prise en compte de sa créance (mais lui doit le faire avec accusé de réception).
Décidé à aller au bout de l’histoire, je lui ai quand même fait faire une requête en relevé de forclusion pour tenter de plaider ma cause mais sans réels arguments. Après une courte séance chez le juge-commissaire du tribunal de commerce, la loi resta en accord avec elle-même et déclara ma requête non recevable. Quelle que serait l’issue du dépôt de bilan, ma facture était tout simplement annulée. Ironie de la loi, mon client présent lors de la séance insista bien pour dire qu’il estimait que je devais d’après lui être payé.
Depuis, l’entreprise de mon client a été rachetée par un groupe international dont le chiffre d’affaire annuel atteint les 35 milliards d’euros. Autant dire que les ennuis financiers sont passé. Mais je sais qu’au moins un des créanciers reconnus n’a pas encore été payé trois ans après les faits. La loi prévoit jusqu’à 10 ans pour le règlement de l’ensemble des dettes et, en la matière, l’URSSAF, le trésor public puis les salariés sont prioritaires.
Conseil n°5 : Ne pas trop en attendre
Heureusement, je suis seul à mon compte sans employé et heureusement en 2013 j’ai eu quelques autres bons contrats payés et à l’heure. Dans d’autres circonstances, m’asseoir sur cette facture de 10.000 € aurait pu être bien plus grave. Si ça arrive et même en suivant mes (précieux) conseils, pas grand chose d’autre à faire que de serrer les dents en attendant que l’orage passe.
Ironie du sort encore, j’ai réalisé une mission chez une société d’assurance spécialisée dans le recouvrement de factures pendant le procès. Car oui, il est également possible de contractualiser une assurance sur ce risque.
Je vous rassure, rien de tel ne m’ait arrivé depuis et je croise les doigts pour que cela reste ainsi encore longtemps. Mais si ça arrive, je serai un peu plus préparé que la dernière fois, c’est déjà ça…
À lire sur le sujet :
- Un récapitulatif de la procédure de vérification des créances du point de vue du créancier (Express Entreprise) ;
- Le détail de la procédure de redressement judiciaire (service-public.fr).
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